Interview des coprésidents du Groupe des Dombes à propos du Notre Père

« Il y a une contradiction à dire “Notre Père”, tout en restant divisés sur le plan confessionnel »

La Croix : S’il est une prière commune à tous les chrétiens, c’est bien celle du Notre Père. Pourquoi avoir choisi d’entreprendre une réflexion sur un sujet qui, à première vue, n’apparaît pas comme un point de clivage entre catholiques et protestants ?

Pasteur Jean Tartier : Jusqu’à présent, le Groupe des Dombes s’était effectivement plutôt intéressé à des sujets qui fâchent, qui divisent. Si on a choisi ce sujet du Notre Père, c’est d’abord parce que cette prière, utilisée dans beaucoup de célébrations et parfois récitée de façon un peu automatique, méritait à nos yeux d’être revisitée. Notamment dans l’utilisation qui en a été faite au cours de l’histoire à travers nos diverses confessions.
L’une des originalités du Groupe des Dombes, c’est de toujours emprunter le détour de l’histoire et de s’apercevoir – parfois avec surprise ! – que ce que l’on croyait être unificateur a aussi été sujet de division. Y compris au niveau du Notre Père.

Jusqu’à quel point ?
P. Jean-François Chiron : Par exemple, quand les catholiques disent : « Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour », ils y voient volontiers une dimension eucharistique, ce qui est moins le cas dans la tradition protestante, d’où des interpellations qui ont pu manquer de bienveillance… D’autre part, le sens des différentes demandes du Notre Père ne va pas toujours de soi. Il était donc opportun de se redire comment mieux les comprendre pour mieux prier ensemble.
Pasteur Jean Tartier : En somme, cela revient à chercher ce que l’on met derrière le « notre » du Notre Père. Est-ce le cercle restreint de ma petite communauté, ou de mes proches, de ma famille, ou alors cela désigne-t-il les autres chrétiens, voire l’humanité tout entière ? Cette invocation induit déjà tout un travail de réflexion.

En quoi cela est-il problématique ?
P. Jean-François Chiron : C’est un acquis considérable que des chrétiens de différentes confessions puissent dire ensemble le Notre Père. Mais il y a une contradiction à dire « Notre Père », autrement dit à se reconnaître frères et sœurs, tout en restant divisés sur le plan confessionnel et donc eucharistique. Dans une famille, non seulement les frères et sœurs disent « nous » mais ils se mettent aussi à table pour partager leur repas, sinon c’est qu’ils seraient brouillés.
Or, catholiques et protestants, tout en disant « Notre Père », ne sont pas encore en mesure de partager le même repas… Nous prenons conscience des paradoxes qu’il y a à dire tous ensemble le Notre Père, à se donner le baiser de paix, tout en retournant chacun dans son temple, dans son église.

En quoi cette prière peut-elle être un enjeu pour l’œcuménisme ?
Pasteur Jean Tartier : Au moment où d’aucuns affirment que l’œcuménisme est en panne, qu’il se cherche, nous aimerions, à travers cette étude, relancer l’élan œcuménique, faire en sorte que les gens prennent conscience de l’importance du Notre Père et se remettent en route vers ce chemin de l’unité.
La tentation serait de baisser les bras et d’en rester là, entre protestants et catholiques. Certes, aujourd’hui, les choses vont beaucoup mieux sur le plan de la reconnaissance mutuelle ; on se côtoie, on s’apprécie… Mais le véritable chemin vers l’unité n’est pas terminé, il y a encore beaucoup à faire…
P. Jean-François Chiron : Tous les chrétiens ne se sentent pas concernés au même titre par le défi œcuménique. Chez les protestants, la mouvance évangélique n’a pas la même conception de ce dialogue. Côté catholique, certains estiment que l’œcuménisme est déjà difficile à pratiquer au sein de leur propre Église. Alors au-delà…

Comment ce travail peut-il aider les groupes œcuméniques dans les paroisses et les diocèses ?
Pasteur Jean Tartier : Au travers de notre texte, nous avons essayé de dire que si cette prière nous engage, elle doit aussi avoir des répercussions concrètes. La vie liturgique sera notamment évoquée. À titre d’exemple, nos recueils de chants pourraient comporter plus de chants en commun. Nous avons listé des pistes concrètes, comme le service des pauvres, sur lesquelles nous pourrions davantage collaborer.
P. Jean-François Chiron : Un des accents du Groupe des Dombes, c’est l’appel à la conversion, non seulement des personnes mais des communautés, appel à être toujours plus fidèle à ce qu’on doit être, à son baptême et au Christ. Nous avons la conviction qu’en se rapprochant du Christ qui réunit tous les enfants du Père, les chrétiens vont se rapprocher les uns des autres.

En quoi le Notre Père est-il un lieu de conversion ?
P. Jean-François Chiron : En demandant ensemble à Dieu : « Que ton règne vienne » par exemple, nous invoquons la réalisation de son projet de paix et de communion pour le monde, et cela n’a rien d’anodin.
Pasteur Jean Tartier : Ou lorsque nous disons : « Pardonne-nous nos offenses », nous nous mettons dans une disposition pour accueillir son pardon. Dès lors, nous devrions aussi essayer de regarder les offenses que nous avons pu commettre à l’endroit des autres chrétiens ou des autres Églises.

Propos recueillis par François-Xavier Maigre

© La Croix, 09/09/2010